Depuis la création de la première ligne de chemin de fer en 1827, le réseau ferré français n’a cessé d’évoluer. Dernière révolution : la création de lignes à grande vitesse en 1981 pour relancer la SNCF. Cependant, un autre changement risque de chambouler le système actuel : l’ouverture à la concurrence du réseau ferroviaire français ! Le FRET étant déjà ouvert à la concurrence depuis 2003, c’est au tour du réseau voyageurs de se libéraliser.
Créée en 1937 avec la nationalisation du chemin de fer français, la SNCF avait jusqu’alors un monopole total sur les circulations voyageurs en France. En effet, le transport ferroviaire était à l’époque un service public non soumis à une logique de concurrence ou de marché. Entre temps, la donne a bien changé, et l’Union Européenne est passée par là. Découvrons en détail les tenants et aboutissants de la nouvelle concurrence ferroviaire.
La concurrence ferroviaire, késako ?
Concrètement, la concurrence ferroviaire consiste à permettre à n’importe quelle entreprise de transport (publique, privée, française ou étrangère) de faire circuler ses trains de voyageurs sur le territoire français. Ainsi, chaque ligne de train pourra être utilisée par d’autres motrices que celles de la SNCF. Attention, la concurrence sur les lignes régionales sera soumise à appels d’offres, ce qui ne sera pas le cas sur les lignes à grande vitesse.
Cependant, on s’aperçoit que la tâche n’est pas si facile qu’il n’y paraît. D’abord réticents à l’idée de voir circuler une autre entreprise sur le réseau national, l’État français et la SNCF ont finalement accepté ce changement sous la pression de l’Europe. En effet, afin de minimiser les risques, cette libéralisation a été repoussée jusqu’à son maximum. Pourquoi une telle pression de la part de l’Union Européenne ? Réponse ci-dessous…
L’importance de l’UE dans le processus…
Comme nous l’avons vu plus haut, le réseau ferroviaire français n’était pas soumis à concurrence en raison de son caractère public. Cependant, la Commission Européenne n’était pas de cet avis et voulait mettre un terme à ces agissements pour une raison toute simple : le système de gestion du rail français était en totale contradiction avec la notion de concurrence pure et parfaite prônée par l’Union Européenne.
En effet, le moindre monopole peut causer du tort à l’activité économique d’un pays en freinant sa croissance. Dans le cadre du ferroviaire, il empêche la baisse des prix et peut impacter la bonne santé du réseau. Pour mettre un terme à cela, l’Union Européenne a enclenché dans les années 1990 le mécanisme de libéralisation du rail. Cela permettra ainsi à toutes les sociétés d’être à égalité en terme d’offre de transport.
Bien entendu, cette réforme n’a pas été décidée du jour au lendemain. Ainsi, il a fallu plusieurs directives (ou « paquet ferroviaire ») pour trouver le bon équilibre. Au total, 4 directives ont façonné la réforme du ferroviaire en Europe, avec tout d’abord l‘ouverture du transport de marchandises, l’ouverture à la concurrence du FRET, l’ouverture du transport international de voyageurs et désormais l’ouverture à la concurrence de ce transport.
Et l’État Français dans tout ça ?
Si on regarde la définition d’une « directive », on remarque que les États de l’UE n’ont pas leur mot à dire. Effectivement, une directive fixe des objectifs que chaque pays doit atteindre dans un délai imposé (en général 2 ans). Dans le cadre de la directive du « quatrième paquet ferroviaire » votée en 2016, la France a donc 2 ans pour transposer ces consignes au niveau national et permettre la concurrence ferroviaire sur son territoire.
Cependant, la tâche s’annonce plus difficile que prévue, la faute au monopole de la SNCF et au caractère public de la compagnie. En effet, l’entreprise gère non seulement le transport des voyageurs, mais aussi les infrastructures ferroviaires (via sa filiale SNCF Réseau, anciennement RFF) ! Autrement dit, si un concurrent souhaite exploiter une ligne (en particulier les lignes à grande vitesse), il devra payer un « péage » à la compagnie.
Pour dissuader la concurrence, la SNCF pourra imposer un péage très élevé à la concurrence. Cependant, une instance doit veiller au bon fonctionnement de cette concurrence : l’Autorité de Régulation des Activités Ferroviaires Et Routières (ARAFER). Ainsi, elle doit s’assurer d’une parfaite équité entre les différents opérateurs (par conséquent un prix de « péage » similaire, quelque soit la compagnie).
Quels acteurs de la concurrence ferroviaire ?
Il est important de rappeler qu’il existe déjà des trajets en train non exploités par la SNCF, toutefois, ils doivent impérativement relier une ville étrangère. C’est le cas par exemple de Renfe qui propose des trajets Marseille – Madrid. Avec l’arrivée de la concurrence, les compagnies pourront faire circuler leurs trains entre deux villes françaises (Paris – Lyon par exemple) et non plus entre une ville française et une ville étrangère.
Plusieurs acteurs sont pressentis pour concurrencer la SNCF. Parmi eux, l’allemand Flixtrain, filiale de FlixBus créée en 2018. Il a la particularité de proposer des trajets low-cost sur des lignes classiques nationales. Il se murmure également que l’espagnol Renfe souhaiterait faire circuler ses trains sur plusieurs lignes à grande vitesse, tout comme l’italien Trenitalia, tous les deux des entreprises publiques (similaires à la SNCF).
En région, on attend plusieurs sociétés dont le français Transdev et l’italien Thello (filiale de Trenitalia). D’autres sociétés pourraient également rafler la mise comme Arriva (une filiale de la Deutsche-Bahn, la société nationale des chemins de fer allemands), Abellio (filiale des chemins de fer néerlandais NS) ou MTR (l’exploitant du métro de Hong Kong). Contrairement aux lignes longue distance, la liste des entreprises n’est pas encore arrêtée.
Quelles lignes soumises à la concurrence ?
Pour cette partie, notez que la liste que vous trouverez ci-dessous n’est pas exhaustive et peut changer au fur et à mesure du temps. Suivez-nous donc sur Twitter pour plus d’informations à ce sujet et être tenu au courant des évolutions dans ce domaine.
Sur le plan national
L’allemand Flixtrain a déjà dévoilé sa short-list de lignes qu’il devrait exploiter dès leur ouverture à la concurrence. Il s’agit donc des lignes classiques suivantes : Paris Nord – Bruxelles Nord, Paris Bercy – Lyon-Perrache, Paris Bercy – Nice (sous forme de train de nuit), Paris-Bercy – Toulouse et Paris-Austerlitz – Bordeaux. Ces liaisons peuvent s’apparenter aux trains Intercités de la SNCF, avec quelques lignes inédites.
D’ailleurs, on peut noter que de nombreuses lignes Intercités dont Bordeaux – Nantes et Nantes – Lyon sont dores et déjà ouvertes à la concurrence. De son côté, l’italien Trenitalia devrait se contenter pour l’instant de faire circuler ses trains (sous la marque Thello) sur la ligne à grande vitesse Paris – Lyon, avec un terminus en Italie. Quant à l’espagnol Renfe, il devrait également exploiter la LGV Paris – Marseille, même si rien n’est encore acté.
Sur le plan régional
C’est là où les choses sont les plus floues. Étant donné que ces lignes ne sont pas accessibles librement, aucun concurrent de la SNCF n’est encore assuré de pouvoir exploiter une ligne à sa guise. En effet, il doit impérativement attendre un appel d’offre émanant d’une région pour postuler et éventuellement remporter le marché. Cependant, les régions ne devraient mettre en concurrence « que » 10 à 15% de leurs lignes, en attendant de voir les offres.
Les régions Grand-Est, PACA, Auvergne/Rhône Alpes, Pays de la Loire, Bourgogne/Franche Comté, Normandie et Hauts de France ont déjà donné leur feu vert, contrairement à la Bretagne, l’Occitanie et la Corse. Pour l’instant, on sait que les lignes les plus rentables devraient être proposées à la concurrence, dont les très convoitées Metz – Luxembourg, Strasbourg – Bâle ou Toulon – Vintimille. Affaire à suivre donc…
La concurrence ferroviaire en France, c’est pour quand ?
Venons en au point le plus important : le quand. Étant donné que la directive de l’Union Européenne fut votée en 2016, on pouvait s’attendre à ce que la France adopte la réforme du ferroviaire en 2018. En réalité, suite à des tergiversations politiques et à l’opposition de nombreuses entités, cette mise en concurrence ferroviaire a été repoussée et divisée en trois parties pour assurer une libéralisation progressive.
Fin 2020 pour les lignes à grande vitesse
Les lignes les plus importantes du réseau ferré français sont sans nul doute les Lignes à Grande Vitesse (LGV). En effet, même si elles ne représentent que 10% du trafic total, elles disposent d’infrastructures récentes et sont en quelque sorte les lignes phares de la France. Jadis exploitées à 100% par les trains de la SNCF (TGV, Thalys, Eurostar, Lyria), elle devront voir circuler les premiers trains concurrents dès 2021 !
Ainsi, les concurrents pourront librement circuler sur le réseau à grande vitesse français, selon le principe de l’« open access ». Autrement dit, n’importe quel concurrent de n’importe quel pays, qu’il soit public ou privé, pourra faire rouler ses trains sur les LGV françaises, pour autant que le matériel soit compatible avec les standards français (signalisation latérale, signalisation en cabine, courant caténaire, gabarit, etc.).
Dès 2022 pour les lignes régionales
Dans le cas des lignes régionales, le principe est différent. En effet, un appel d’offre doit être émis par la région et un contrat doit être signé avec une société pour permettre aux trains de rouler. Même si les lignes commenceront à être ouvertes à la concurrence ferroviaire fin 2019, les premiers trains devraient commencer à rouler dès 2021, et au plus tard en 2033 (si la région ne souhaite pas conclure d’accord avec une société autre que la SNCF) !
Ces dates n’ont pas été choisies par hasard. En effet, fin 2019, les régions pourront commencer à émettre des appels d’offres. Les différentes sociétés de transport pourront manifester leur intérêt en répondant à cet appel. La société ayant remporté le marché aura la jouissance exclusive du réseau à partir de 2021/2022 et pendant 5/10 ans. Notez que ce montage est moins coûteux puisque le matériel et l’entretien du réseau seront effectués par la région.
Dès 2023 à Paris et en Île de France
Bien entendu, Paris et l’Île de France n’échappent pas à la mise en concurrence ferroviaire. Cependant, contrairement aux autres régions, le réseau de transport est beaucoup plus dense, ce qui complique la mise en concurrence. Afin de maintenir une cohérence dans le réseau et éviter de pénaliser les usagers, les lignes (comme le RER E) s’ouvriront à la concurrence ferroviaire progressivement entre 2023 et 2039.
À noter que certaines lignes qui sont actuellement en projet ont été soumises à des appels d’offres pour déterminer l’entreprise qui pourra exploiter la ligne. C’est le cas par exemple du projet CDG Express, qui fut remporté par le groupement Keolis-RATP. Pour autant, la mise en concurrence, même si elle est obligatoire, paraît très compliquée en Île de France, et devra être réalisée avec précaution.
La concurrence ferroviaire, ça change quoi ?
La mise en concurrence du réseau ferroviaire français divise. En effet, véritable affront pour les cheminots, qui ont d’ailleurs manifesté leur mécontentement avec des grèves, entraînant des perturbations massives à la SNCF en 2018, elle est pour certaines instances impérative ! Voyons dans cette partie les différents arguments des pour et des contre et l’impact que cette réforme pourrait avoir sur les voyageurs quotidiens de la SNCF.
Points positifs de la concurrence ferroviaire
Tout d’abord, la concurrence ferroviaire pourrait signifier plus de choix sur certaines lignes. Prenons l’exemple de la ligne Paris – Lyon, qui intéresse de nombreuses compagnies. Pour rallier la Capitale des Gaules, vous pourrez ainsi emprunter un train SNCF, mais également un train Flixtrain, Renfe ou Thello ! À vous donc de choisir quel opérateur vous préférez et surtout quel ticket sera le moins cher. En plus, s’il y a des périodes de grèves comme le 6 Juillet 2022, vous aurez plus de choix et pourrez bénéficier d’une solution alternative !
De plus, en terme de services, on peut s’attendre à ce que les entreprises privées proposent des prestations équivalentes, si ce n’est plus. En effet, les régions pourraient imposer un service minimum aux sociétés de transport, comme un service d’information voyageurs efficace ou un guichet toujours ouvert. Il est aussi possible qu’elles gardent la SNCF comme prestataire en lui imposant d’en faire davantage pour les voyageurs.
Enfin, la concurrence pourrait avoir une incidence positive sur les tarifs des billets, aujourd’hui exorbitants (ce que cherche à obtenir l’UE avec la notion de concurrence pure et parfaite). Par exemple, si on prend le cas de l’Italie, qui a libéralisé son réseau ferroviaire bien avant la France, on remarque que la concurrence ferroviaire a permis de faire baisser les prix des tickets de train de 40% entre 2011 et 2017 ! Pas mal, non ?
Points négatifs de la concurrence ferroviaire
Premier argument qui découle de la mise en concurrence ferroviaire : le changement de statut de la SNCF, qui doit impérativement évoluer pour continuer d’exister. Ce changement aura donc une incidence sur les emplois de nombreux cheminots, que cela soit en terme de suppressions de postes ou encore de suppressions de bénéfices. Pour en savoir plus sur le sujet, direction cet article paru précédemment sur le blog.
Autre élément qui cause du tort à la concurrence ferroviaire, la possible dégradation de la qualité de service. Dorénavant, les entreprises privées vont se focaliser sur les lignes les plus rentables et délaisser les plus « petites » lignes. À l’avenir, en région, il se pourrait que de nombreuses lignes disparaissent par souci de rentabilité ou que les services proposés en gare ou à bord des trains se raréfient.
Enfin, on note également que l’ouverture des lignes ferroviaire à la concurrence n’a pas toujours été bénéfique pour certains pays. C’est le cas par exemple du Royaume-Uni, qui est progressivement en train de nationaliser les lignes déficitaires, comme celle reliant Londres à Glasgow. De plus, avec la privatisation du service, le réseau anglais a connu une hausse des prix de 27% entre 2010 et 2017 et les usagers subissent de trop nombreux retards.
Ainsi s’achève notre article sur la concurrence ferroviaire à venir en France. Même si cette page est assez exhaustive, si vous avez la moindre question ou correction à nous soumettre, n’hésitez pas à le faire via l’espace commentaires du blog Grèves-SNCF. N’oubliez pas de partager cet article sur vos réseaux sociaux ! Bon voyage… 🙂
6 commentaires
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